« Si tu prends ma place, prends mon handicap » rappelle légitimement le slogan en matière de stationnement.
Cet appel à l’empathie et la compassion des automobilistes valides à l’égard des personnes porteuses d’un handicap peut être transposé à plus grande échelle : « Si tu prends ma place, prends ma vie avec mon handicap (et tu appréhenderas mieux ma vie et ses difficultés quotidiennes) ».
Sortant d’un parking en soirée sans prendre garde aux horaires de fermeture du parc adjacent, Lucas (qui stationnait sur une place classique) se retrouve enfermé dans le parc dont les grilles sont closes, la porte du parking ne permettant pas de revenir sur ses pas.
Lucas se met en quête d’une solution de sortie. En remontant le parc, Lucas constate l’existence d’un muret pouvant être facilement enjambé. Il observe l’environnement et son cerveau évalue rapidement la hauteur approximative à sauter pour atterrir sur le trottoir longeant la rue synonyme de liberté.
Il évalue à 1.60 mètre, ce qui permet à Lucas d’en déduire que la difficulté est simple et sans risque… sauf qu’en sautant avec des chaussures de ville, dans un état de fatigue physique préexistant, Lucas n’a pas évalué la résistance de ses talons… Le calcaneum (os du talon) droit de Lucas se fracture, l’os du talon gauche résiste quant à lui mais la douleur est immédiate et rapidement insupportable sur les deux pieds lésés.
Le calcaneum est un os directement en contact avec le sol et sur lequel repose l’ensemble de son corps parce qu’il assure la transition entre la verticalité du squelette axial et l’horizontalité du pied permettant la marche
Lucas va devoir s’armer de patience.
La fracture est, en effet, venue perturber un tissu vivant, structuré, vascularisé et en perpétuel remodelage. Parce que la nature est bien faite, elle va déclencher par la suite un processus de réparation par l’ostéogénèse réparatrice destinée à reconstituer une continuité solide de l’os.
La consolidation est un phénomène physiologique complexe qui aboutit à la cicatrisation du tissu osseux. La consolidation est permise grâce à l’hématome péri-fracturaire, le périoste et les sollicitations mécaniques.
Durant six semaines au moins, Lucas va donc expérimenter une perte certes relative d’autonomie par rapport à un handicap permanent mais une perte d’autonomie bien réelle par rapport à sa vie personnelle et professionnelle d’avant la fracture.
Comment se construit l’autonomie dans l’histoire de l’être humain ?
Autonomie vient du grec autos (soi-même) et nomos (loi, règle).
L’autonomie se définit comme la capacité d’un objet, d’un individu ou d’un système à se gouverner lui-même, selon ses propres règles.
En vivant dans son milieu, l’enfant reproduit les habitudes de son entourage et, notamment, celles de ses parents. Ses habitudes ont directement structuré son cerveau.
En les rejouant, l’enfant renforce les circuits neuronaux déjà existants et poursuit sa spécialisation à son milieu.
Ainsi, la longue chaîne de l’humanité s’est construite. L’être humain est un être fondamentalement d’adaptation qui éprouve une grande satisfaction à reproduire l’observation de son environnement direct.
L’enfant fournit un important travail dans ses compétences exécutives en formation en apprenant progressivement à s’asseoir, à faire du quatre-pattes puis à marcher, en mangeant seul, en lavant la vaisselle, en mettant ses chaussures, en s’habillant… Pour une telle exécution, il doit focaliser son attention, garder en mémoire les différentes étapes, les planifier, corriger ses gestes et les stratégies inadéquates.
Elaborée dans les années 1940, la pyramide de Maslow est une théorie selon laquelle les motivations d’une personne découlent de ses besoins non satisfaits.
Il existe cinq niveaux de besoins :
- Besoins physiologiques : manger, respirer, dormir, se chauffer, se vêtir…
- Besoin de sécurité
- Besoin d’appartenance (à un groupe, de s’exprimer, de communiquer, de partager…)
- Besoin d’estime de soi, de reconnaissance, de franchise et de tolérance : besoin de développer son autonomie et de s’affranchir
- Besoin d’accomplissement de soi
Le besoin d’autonomie figure donc dans la pyramide de Maslow au 4ème étage parmi les besoins personnels de l’être humain au sein du besoin plus large d’estime de soi.
Il est donc aisé de comprendre combien l’affaiblissement de l’autonomie ou sa perte (temporaire ou définitive) atteint directement l’estime que la personne qui subit une situation de handicap a d’elle-même c’est-à-dire la valeur qu’elle s’accorde. L’accès à l’accomplissement de soi, qui se situe à l’étage du dessus, est d’autant plus mis à mal que ce besoin n’est pas satisfait.
Quand Lucas voit son périmètre de marche réduit à quelques mètres même avec l’aide de béquilles qui ne peuvent lui épargner la douleur, non seulement Lucas prend soudainement conscience des nombreuses contraintes physiques particulièrement importantes auquel son os a résisté depuis qu’il a acquis, enfant, la marche mais surtout Lucas voit son estime de lui-même diminuer en proportion de sa perte d’autonomie.
Lucas a dû louer un fauteuil roulant pour pouvoir respirer l’air extérieur et contempler la nature pour lui redonner de l’énergie, il ne peut plus sortir son chien, ni faire de sport, il doit compter sur l’assistance de son épouse pour les actes les plus banals de la vie quotidienne et il passe beaucoup de temps allongé sur son canapé…
Heureusement pour Lucas, cette situation n’est que transitoire et ne durera pas plus de quelques semaines.
Dans le cas d’accidentés de la circulation ou simplement de la vie courante ou encore de personnes victimes d’une erreur médicale ou d’un aléa thérapeutique, la perte d’autonomie, qu’elle soit partielle ou totale, peut avoir un caractère définitif.
L’évaluation de cette perte, dans le cadre de l’expertise médicale, doit être particulièrement rigoureuse et approfondie en amont de la réunion d’expertise par l’avocat et le médecin de recours : évaluation de tout ce que la victime pouvait faire avant l’accident, évaluation du temps consacré par une tierce personne qu’elle relève de l’assistance familiale ou de l’assistance d’un professionnel, saisine préalable d’un architecte et d’un ergothérapeute pour évaluer les aménagements nécessaires du domicile de la victime et les aménagements du véhicule avec tests de conduite.
La réparation du dommage corporel est une matière complexe parce qu’elle implique de la part de l’avocat et de son médecin de recours un travail important en amont de l’expertise mais également une vigilance constante lors de cette expertise pour obtenir une évaluation juste de l’expert judiciaire ou de l’expert mandaté par la Compagnie d’assurance dans le cadre amiable.
Le travail entre l’avocat et son médecin de recours à l’expertise peut se résumer ainsi : « Rien que le préjudice mais tout le préjudice ».
L’acquisition de l’autonomie qui a demandé tant d’efforts et de travail à l’enfant en devenir et dont l’adulte qu’il est devenu prend conscience le jour où il se trouve privé de cet acquis est un besoin fondamental dont la place doit être restaurée pleinement dans la réparation accordée à la victime d’un dommage corporel et/ou psychique.
Le cabinet de Maître Aurélie CHEVET est engagé dans cette voie depuis plusieurs années.